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Denis Leiva : « Il est très difficile de ne pas être autorisé à jouer à cause d'une règle arbitraire et inconstitutionnelle »

L'histoire du joueur

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À propos

Denis Leiva

Denis Leiva est un footballeur avec 18 ans d'expérience dans différentes catégories du football guatémaltèque. Il fait partie des personnes concernées par la limite d'âge imposée par la fédération locale.

Jusqu'en juillet de cette année, je pensais qu'en prenant ma retraite du football, je pourrais réaliser le projet que ma femme et moi évoquions depuis tant d'années. Mais non, ces derniers mois ont été d'une incertitude que je n'avais jamais imaginée.

J'ai 38 ans, et je suis footballeur professionnel au Guatemala depuis l'âge de 20 ans. Je voulais jouer deux saisons de plus pour continuer à mettre de côté et pouvoir lancer ma propre affaire lorsque je prendrais ma retraite, mais soudain... tout a été écourté. Et ça a été un coup dur.

La raison pour laquelle les choses ont été écourtées est très simple : la Fédération nationale de football du Guatemala, la FedeFut, a pris la décision inconstitutionnelle d'imposer une limite d'âge dans notre football. En Primera División, la deuxième division ici, il ne peut y avoir plus de 3 joueurs de plus de 35 ans par club. Et en Second Division, soit la troisième ici, seulement 3 entre 27 et 32 ans.

Nous sommes nombreux pour qui la vie a changé du jour au lendemain. C'est une situation qui n'aurait jamais dû exister, qui a sérieusement affecté nos vies et celles de nos familles qui souffrent avec nous. Beaucoup d'entre nous n'ont pas terminé leurs études. Le football est notre moyen de réaliser nos rêves.

Nous nous soutenons mutuellement, car la situation est très difficile. Nous sommes des parents et nous avons nos obligations, mais nous vivons au jour le jour sur des économies qui étaient destinées à autre chose, avec tout ce que nous pouvons trouver pour survivre. Ici, au Guatemala, nous appelons cela les « chapuces » : les petits travaux de maçonnerie, de peinture, d'électricité.

J'ai une moto et quand je sors, je fais aussi coursier. Un peu de tout. Je participe aussi à des « chapulines », les fameuses « cáscaras ». C'est comme ça qu'on appelle les matchs informels. Dieu merci, on a fait carrière dans le football et quand il faut jouer dans une ligue amateure ou dans une foire ici ou là, on est reconnus avec un peu d'argent.

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Mais bien sûr, ce n'est pas pareil que de jouer sous contrat, avec un salaire fixe décent et une couverture médicale. Surtout avec ce qui se passe actuellement dans le pays, où tout augmente beaucoup. Les prix sont très hauts.

Je me bats chaque jour pour récupérer ce droit et celui de mes collègues concernés. Je continue à m'entraîner seul dans mon temps libre. Je me lève tous les jours pour faire de l'exercice et être en bonne forme physique, car ce n'est pas la même chose de continuer à 38 ans qu'à 20 ans.

Mais je ne peux pas mentir, psychologiquement c'est très dur. On appelle ça la dépression du football. Il y a eu des moments où je n'avais pas le moral pour me lever. Je restais enfermé à ne vouloir rien faire. Je restais là à pleurer, beaucoup, car j'étais le soutien quotidien de notre famille. C’est moi qui avais le plus gros revenu.

Et on ne me donnait rien gratuitement. J'ai travaillé jour après jour, je me suis entraîné honnêtement. J'ai souvent dû m'éloigner, mais cela en valait la peine, car je savais que c'était pour ma famille, afin que je puisse aussi économiser au cas où mon corps me lâcherait.

Juan Flores: "I've been a footballer for 14 years and now I can't work because of my age"

Ma première force motrice pour continuer est celle tout en haut : Dieu. Je compte beaucoup sur lui. Et puis, ma famille, mes deux enfants, ma femme. Ils sont mon soutien, ils me donnent des mots d'encouragement, leurs conseils. Parce qu'on tombe vraiment très bas émotionnellement.

J'ai aussi le souvenir de mon père qui est décédé il y a peu de temps. Il était un guerrier dans la vie et m'a appris à être un combattant. Et malgré les difficultés et les doutes, c'est ce que je fais.

D'abord parce que j'aime être footballeur et que j'ai encore beaucoup à apporter. Et deuxièmement, parce que c'est ce qu'il y a à faire. Ils ne peuvent pas nous discriminer comme ils le font. L'âge ne joue pas un rôle, c’est le talent et les conditions de chaque joueur qui importent. Le football est un mode de vie qui doit durer aussi longtemps que le corps peut tenir, et non jusqu'à ce qu'une règle arbitraire contraire à la constitution nationale le dise.

“Il y a eu des moments où je n'avais pas le moral pour me lever. Je restais enfermé à ne vouloir rien faire. Je restais là à pleurer, beaucoup, car j'étais le soutien quotidien de notre famille. C’est moi qui avais le plus gros revenu.”

— de Denis Leiva

Certains d'entre nous ont également porté le cas devant le Bureau du médiateur des droits de l'homme. La réponse du président de la FedeFut, Gerardo Enrique Pais Bonifaci, a été de les dénoncer devant la Commission d'éthique de la FedeFut pour ne pas avoir d'abord fait valoir leurs revendications au niveau des institutions du football. Je ne comprends pas pourquoi ils veulent leur faire encore plus de mal.

Heureusement, notre syndicat de footballeurs, la SIFUPGUA, nous soutient en tous points, et j'ai une grande confiance dans leur travail. Ils ont intenté un procès pour faire valoir nos droits. Parfois, on dit que la règle va être supprimée, parfois non. Cela nous affecte.

Mais nous espérons tous que la décision du tribunal nous permettra de reprendre le travail, de redevenir footballeurs. Car comme le disait Diego Maradona, « le ballon ne se salit pas ».