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Steph Labbé : « Nous devons faire de la santé mentale d’après tournoi une priorité »

L'histoire du joueur

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À propos

Steph Labbe

L'ancienne gardienne de but de l’équipe du Canada et championne olympique Steph Labbé est membre du groupe de travail sur la santé mentale de la FIFPRO.

Il y a eu trois étapes importantes dans ma carrière où ma santé mentale a été éprouvée et a fait de moi la personne que je suis aujourd'hui : quelqu'un de plus fort après avoir traversé ces expériences.

La première a eu lieu en 2012, où j'ai atteint un point de rupture. J'ai perdu la confiance que j’avais en moi-même, mon amour-propre et ma joie de jouer au football. Je suis entrée dans une phase de dépression. À l'époque, je n'avais pas les mots pour exprimer ce que je vivais. Tout ce que je savais, c'est que j'étais dans un endroit sombre et que je n'aimais pas ce que je faisais.

J'avais besoin de prendre du recul et de prendre une décision qui serait la meilleure pour moi à long terme. J'ai décidé de m'éloigner de l'équipe nationale.

À l'époque, je ne comprenais pas le poids de cette décision. Tout ce que je savais, c'était que je ne me trouvais pas dans un bon endroit et que je devais me retirer d'un environnement qui n'était pas propice à ma bonne santé mentale.

J'ai pris un an loin de l'équipe nationale et il a fallu attendre huit mois de plus avant d'être convoquée à nouveau, j'ai donc été écartée du programme de l'équipe nationale pendant près de deux ans.

C'était une période où j'ai pu me concentrer sur mon propre bien-être mental et recommencer à être la personne confiante que je pouvais être, aussi bien sur le terrain qu’en dehors. J'ai retrouvé la joie du jeu et une vraie confiance en moi. J'ai fixé de petits objectifs et construit mon réseau de soutien. Je reviens constamment à ces enseignements.

La deuxième étape importante est intervenue suite aux Jeux olympiques de 2016. Je suis passée d'un état d'euphorie total en remportant une médaille de bronze olympique à un retour dans mon club où j’ai passé mon temps sur le banc pour le reste de la saison. Mon temps de récupération après les Jeux olympiques était de moins d'une semaine, à peine suffisant pour surmonter le décalage horaire, sans parler d'être physiquement ou mentalement rétablie pour me préparer aux prochains objectifs.

Passer de tout à rien, comme cela, sans aucune place pour la récupération, a bouleversé mon bien-être. J'ai perdu beaucoup de valeur personnelle ; pendant mon court séjour à la maison, tout tournait autour de la médaille, et j'avais l'impression d'être entièrement définie par la médaille. J'étais fière, mais j'ai commencé à me perdre dans les demandes constantes. Cela m'a replongé dans un état de morosité.

J'ai lentement trouvé de la vulnérabilité et de la force en partageant mon histoire. Je me suis mise au yoga et à la méditation pour m'ancrer, des outils supplémentaires dans ma boîte à outils de résilience.

La troisième étape importante, c’étaient les Jeux olympiques de Tokyo en 2021. C'était une toute nouvelle expérience pour moi. La deuxième année d'une pandémie aggravée par l'incertitude, les jeux d'esprit (mind games) que beaucoup d'athlètes ont dû endurer et une blessure importante lors du premier match du tournoi ont rapidement rempli ma « benne mentale ».

J'ai très bien joué aux Jeux olympiques, avec un quart de finale rempli d'adrénaline qui s'est terminé par deux arrêts définitifs lors d'une séance de tirs au but pour nous envoyer en demi-finale olympique. La montée d'adrénaline de ce match, associée au stress et à l'anxiété que je portais, a provoqué de nombreuses crises de panique et une anxiété accrue pour le reste du tournoi.

J'étais dans un état constant de suractivation. C'était quelque chose que je n'avais jamais vécu auparavant dans ma vie. J'étais incroyablement performante sur le terrain, et pourtant, en dehors du terrain, mon esprit était dans un état de panique.

Après avoir remporté l'or, je suis retournée m'allonger dans ma chambre avec les lumières éteintes pendant que mes coéquipières sortaient pour fêter cette victoire. Ce comportement a perduré en dehors du terrain pendant des semaines.

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Alors je suis retournée à ce qui m'a aidée dans le passé. Je me suis tournée vers la nature, le temps passé avec ma famille et mes amis, et la force de dire « non » à diverses demandes des médias. Cela m'a permis de reprendre le contrôle de ma santé, lorsque j'avais l'impression qu'elle devenait incontrôlable.

Lorsque j'ai commencé à raconter mon histoire en 2017, j'ai lentement commencé à comprendre l'impact global que cela avait sur les autres. Raconter une histoire est incroyablement puissant. Plus nous partageons nos histoires, plus nous pouvons nous connecter avec des personnes de toutes origines et de cultures différentes. L'authenticité et la vulnérabilité ne jugent pas, elles abolissent les barrières de toutes sortes.

En février, j'ai contacté la FIFPRO au sujet de la création d'un groupe de soutien structuré pour les joueurs et joueuses de toutes les équipes nationales afin d'avoir un espace sûr pour partager leurs histoires et apprendre des autres. Le fait d'entrer en contact avec tous les membres du groupe de travail sur la santé mentale m'a aidée à comprendre les différentes perspectives, surtout en ce qui concerne la santé mentale d’après tournoi.

Il y a tellement de récits différents qui entrent en jeu avec la santé mentale d’après tournoi. Tu peux passer quatre ans à préparer ce moment de gloire, la Coupe du Monde, les Jeux Olympiques, les championnats d'Europe, et soudain, tout s'arrête et tu te dis : « Qu'est-ce qui va suivre ? »

Tu sors d'un mois où tu as passé toutes tes heures d’éveil auprès d’un groupe de personnes avec lesquelles tu partages une vision et un objectif communs clairs, avec lesquelles tu partages des expériences incroyables, qu'elles soient favorables ou défavorables. La majorité des équipes n'atteignent même pas cet objectif. Une seule équipe gagne.

Tu retournes ensuite à une routine complètement différente, avec des personnes différentes et des attentes différentes. Cela peut donner un sentiment d'isolement et de solitude. Il peut y avoir un manque de motivation. Cela peut être émotionnellement épuisant.

Ensuite, il y a l'analyse de ta propre performance : si ton tournoi a été perçu comme positif ou non, et les attentes - ou l'absence d'attentes - qui sont placées en toi au moment de terminer ta participation à l'équipe nationale.

Guide du blues post-tournoi

Cette période de deux semaines après un tournoi est cruciale : c'est le moment où les joueuses doivent prendre le temps de guérir et de récupérer, pas seulement physiquement, mais aussi mentalement. Il est très important d'avoir des ressources en place pour que les joueuses, les entraîneures, les coéquipières, et même les amis et la famille, sachent à quoi s'attendre pendant cette période.

D'après mon expérience personnelle, je n'étais pas informée d’un possible « blues d'après tournoi » et des incroyables hauts et bas qui accompagnent ces émotions. J'étais déjà dans un moment difficile où j'avais l'impression que tout était trop lourd pour tendre la main et accepter de l'aide.

Si j'avais eu cette compréhension au préalable, je crois que j'aurais pu être mieux préparée, avec une meilleure connaissance et une meilleure compréhension des signes. Je n'aurais pas eu à guérir seule.

C'est quelque chose que les athlètes de tous les genres, de tous les milieux, traversent. Il est donc important de leur permettre d'avoir cet espace pour avoir leur propre récit de ce qu'ils vivent.

De l'extérieur, nous voyons souvent une seule perspective d'un athlète ou d’une athlète à travers les médias et nous supposons que tout va bien. Mais même lorsque j'ai connu le succès, cela n'a pas toujours été synonyme de bonheur.

En encourageant les joueurs et les joueuses à partager leur histoire, nous brisons la stigmatisation de la santé mentale. Parler de la santé mentale ne signifie pas être faible ; en réalité, cette vulnérabilité montre une conscience de soi, ainsi qu'une force et un courage incroyables.

Le guide de la santé mentale d’après tournoi est une ressource importante pour continuer à faire avancer le dialogue. Que tu sois un joueur ou une joueuse ou le coéquipier ou la coéquipière de quelqu'un sortant d'un tournoi, ce guide couvre de nombreux angles.

Même si tu penses que cela ne s'applique pas directement à toi, cela peut s'appliquer à la personne à côté de toi, et les systèmes de soutien sont des facteurs clés de rétablissement pour tout le monde.

Chacun a une histoire différente. Plus nous pouvons nous aider les uns les autres à sortir des moments les plus importants de notre carrière dans un état d'esprit plus sain, plus nous avons de chances d'être le meilleur ou la meilleure version de nous-mêmes sur le terrain et en dehors.